mardi 5 décembre 2017

R. I. P. : S. M. le roi Michel Ier de Roumanie (1921-2017)



Alors que s’achèvent les commémorations du centenaire de la Révolution russe nous font jeter un nouveau coup de projecteur sur les horreurs perpétrées par l’idéologie communiste, vient de s’éteindre ce midi un prince chrétien d’Europe centrale qui a vu sa couronne confisquée, à l’issue de la seconde Guerre mondiale, par le monstre soviétique. Il s’agit du roi Michel de Roumanie (Mihai I al României).

Avec lui s’éteint le dernier mâle de cette branche des Hohenzollern qui accéda au trône roumain en 1866, avec l’élection du prince Karl von Hohenzollern-Sigmaringen (1839-1914) comme prince de Roumanie, sous le nom de Carol Ier. En 1881, après la proclamation d’indépendance – les principautés réunies de Valachie et de Moldavie étaient jusqu’alors vassales de l’Empire ottoman – il prit le titre de roi de Roumanie. 


Michel Ier est son arrière-petit-neveu. Il est né le 25 octobre 1921 au château de Peleş, au cœur des Carpates valaques – un cadre digne des romans de Bram Stocker – alors que son grand-père Ferdinand Ier (1865-1927), dit « le Loyal », régnait sur un vaste royaume, renforcé à l’issue de la première Guerre mondiale, notamment par l’intégration des territoires transylvaniens autrefois rattachés à l’Autriche-Hongrie. Michel était le fils du prince héritier Carol (1893-1953) et de la princesse Hélène de Grèce (1896-1982), fille du roi Constantin Ier.


Le château de Peleş, près de Sinaia, fut construit sous le règne de Carol Ier.
Le 20 juillet 1927, Ferdinand meurt. Deux années auparavant, son fils Carol avait fui le pays en compagnie de sa maîtresse, tout en renonçant au trône. Le prince Michel devenait à six ans le nouveau souverain de Roumanie, sous la régence de son oncle, le prince Nicolae (1903-1978). 

Sans rentrer dans les détails complexes de la situation politique roumaine des années 1920, il faut souligner le climat d’opposition entre parlementaristes et antiparlementaristes, ainsi qu’une grave instabilité ministérielle et la pression de groupes politiques fascistes et communistes. C’est à la faveur de ces tensions que le père de Michel rentra en Roumanie et se fit attribuer la couronne, sous le nom de Carol II, le 8 juin 1930.








Les années 1930 furent marqués par de nouveaux troubles. Désireux de faire face aux violences de la Garde de fer, principal mouvement fasciste, Carol II instaura une dictature royale – la « dictature carliste » – et se fit attribuer les pleins-pouvoirs. Mais la pression militaire allemande en Europe orientale eut raison de la neutralité roumaine. La défaite de la France, alliée de la Roumanie, et les nouveaux découpages territoriaux imposés par l’Allemagne à l’été 1940, imposèrent un démantèlement du royaume en faveur des puissances de l’Axe, URSS comprise. Accusé d’être responsable de la fin de la « Grande Roumanie », Carol II fut contraint à l’abdication par le général pronazi Ion Antonescu, le 6 septembre 1940. Âgé de 18 ans, Michel fut de nouveau désigné roi. 

Mais son règne n’était plus désormais qu’un règne de façade. Il ne disposait en réalité d’aucun pouvoir, le général Antonescu ayant confisqué à son profit les rênes du gouvernement. Ce qui est certain, c’est que Michel Ier travailla en sous-main à soutenir une résistance roumaine au régime pronazi en place, en fournissant notamment des moyens de communication aux services secrets britanniques présents à Bucarest. Malgré ses efforts, malgré la tentative d’un coup d’État contre Antonescu en août 1944, Michel ne peut s’opposer à l’invasion du pays par l’Armée rouge. Le 12 septembre, un armistice est signé, mais Moscou considère la Roumanie comme une puissance ennemie vaincue et occupée. 

Le roi Michel en 1947.

En mars 1945, incapable de faire face à la pression de l’occupant soviétique, le roi Michel doit nommer un gouvernement favorable à Moscou. Comme en 1940, la Roumanie est abandonnée par les Alliés à l’appétit de l’hydre rouge. Un sursis de deux années est toutefois laissé par les soviétiques à la monarchie roumaine. Le 30 décembre 1947, pour éviter une effusion de sang commanditée par les communistes, le roi abdique et prend le chemin de l’exil. La Roumanie devient une république socialiste et restera pendant 42 ans sous le joug du pire totalitarisme du XXe siècle.

Michel n’a que 26 ans. Il trouva refuge au Royaume-Uni avant de s’installer en Suisse, sur les bords du lac Léman. C’est à Athènes qu’il épousa, le 10 juin 1948, la princesse Anne de Bourbon-Parme (1923-2016), nièce de l’impératrice Zita d’Autriche, qui lui donna cinq filles, dont la princesse Margareta, née en 1949, qu’il nomma, en 2016, gardienne de la Couronne roumaine (Custode al Coroanei României).

Le mariage athénien des souverains en exil, en compagnie du roi Paul et de la reine Frederika de Grèce.


Le roi Michel eut le bonheur de pouvoir fouler de nouveau la terre roumaine, 43 ans après son exil, en décembre 1990. Toutefois, l’élite politique post-Ceausescu craignant une restauration monarchique, le souverain fut rapidement reconduit à la frontière. Il lui faudra attendre deux années pour pouvoir revenir dans son pays natal. Mais ce fut le même scénario. Plus d’un million de personnes l’ayant acclamé à Bucarest à l’occasion des fêtes de Pâques, le gouvernement républicain l’interdit de séjour pour 5 ans. En 1997, il put enfin retourner en Roumanie et obtenir la rétrocession de plusieurs propriétés royales. Depuis, il a vécu entre la Suisse et la Roumanie. Il a rejoint aujourd’hui son épouse, la reine Anne, décédée le 1er août 2016. 

Michel Ier était le plus ancien souverain du monde encore vivant. Si son règne effectif a été bouleversé par les idéologies, si la Roumanie a subi en 1940 et en 1945 les trahisons de ses alliés occidentaux au profit des totalitarismes nazi et soviétique, Michel a toujours gardé la dignité que ses pères lui ont transmise. Il est resté le « roi Michel », tant aimé et apprécié des Roumains, qui se déplaçaient nombreux pour le saluer et l’acclamer, cinquante, soixante ans après son abdication forcée de 1947. Le souvenir de la monarchie est resté vivace en Roumanie, malgré les troubles de l’histoire. Les souffrances de l’ère soviétique et l’instabilité politique récente ont invité le peuple roumain à se concentrer autour de ses valeurs, fondées sur la foi chrétienne (orthodoxe) et le respect de ses princes. 

Tout en saluant la mémoire d’un grand prince, tout en offrant à la famille royale et au peuple de Roumanie nos plus sincères condoléances, nous ne doutons pas que ce noble pays, fier de ses origines, n’oubliera pas ce roi qui l’a tant aimé et saura lui rendre les plus vifs hommages de sa reconnaissance.

Le roi Michel et sa fille et héritière, la princesse Margareta.