mardi 25 octobre 2016

Hugues Capet et le "miracle capétien"



Le 24 octobre 996, voici 1020 ans jour pour jour, Hugues Capet, roi des Francs, rendait à son Créateur son dernier soupir. Souverain peu connu, souvent jugé comme le fossoyeur de la dynastie carolingienne, Hugues était pourtant le modèle même du prince chrétien. Issue de la plus grande dynastie aristocratique de la France carolingienne, la race des Robertiens, Hugues était en 956, âgé d'à peine seize ans, le dépositaire d'un vaste ensemble territorial concentré autour de l'Île de France, mais aussi l'héritier du titre prestigieux de « duc des Francs » obtenu par son père, Hugues le Grand, en raison des services éminents rendus au roi carolingien Louis IV d'Outremer, en 936, à l'occasion de sa montée sur le trône franc. Hugues Capet poursuivit les traces glorieuses de son père en repoussant, en 978, l'attaque de Paris par les troupes de l'empereur Othon II, suite à la provocation du roi Lothaire. Soutenu par l'archevêque Adalbéron de Reims, Hugues était sans conteste l'homme fort du royaume, placé à la tête des Grands (les principes regnorum). En mai 987, à la mort du roi Louis V au cours d'une partie de chasse dans la forêt de Senlis, l'héritier dynastique est son oncle paternel, Charles de Lorraine. Mais il est rejeté par les évêques qui lui reprochent ses fautes politiques (alliance avec Othon II) et morales (il accusa d'adultère la reine Emma, veuve de Lothaire). Selon Richer de Reims, les évêques promurent une sorte de loi successorale fondée sur le mérite, en faveur d'Hugues Capet :


« Le trône ne s'acquiert point par droit héréditaire, et l'on ne doit mettre à la tête du royaume que celui qui se distingue par ses qualités. Donnez-vous donc pour chef le duc Hugues, recommandable par ses actions, par sa noblesse et par ses troupes, en qui vous trouverez un défenseur, non seulement de l'intérêt public mais aussi des intérêts privés. »


L'assemblée des Grands réunie à l'initiative d'Adalbéron de Reims décida d'élire Hugues comme nouveau roi des Francs. La vieille tradition franque de l'acclamation des barons fut suivie du sacre, qui se déroula très probablement le 3 juin 987, en la cathédrale de Noyon. Quelques mois plus tard, afin d'assurer une continuité dynastique, il fit associer au trône son fils Robert - futur Robert II le Pieux. C'est le début de la dynastie capétienne qui régna sans interruption jusqu'au crépuscule du XVIIIe siècle. A sa mort, le 24 octobre 996, après neuf années de règne, Hugues avait établi une stabilité durable dans le royaume que les historiens désignèrent sous le nom de « miracle capétien ».


Sans entrer dans les détails chronologiques de son règne, notons toutefois les aspects religieux qui font de la personnalité d'Hugues Capet le digne héritier du pacte de Reims qui scella la vocation chrétienne de la France. Si le fils d'Hugues le Grand était un prince laïque, il concentrait entre ses mains un vaste patrimoine ecclésiastique, selon l'usage de l'époque, en tant qu'abbé laïque de plusieurs abbayes prestigieuses du royaume. C'était le cas notamment de Saint-Martin de Tours. Portait-il une chape (cappa) abbatiale ? Le surnom « Capet », qui sera repris ultérieurement pour désigner la dynastie dont il fut le fondateur, se rapporterait à cet usage, à moins qu'il y ait là une référence à la cape ou manteau de saint Martin, l'apôtre des Gaules. Ce serait là une analogie tout à fait singulière. Quoiqu'il en soit, Hugues avait obtenu toute la confiance de l'épiscopat franc, au premier rang duquel se plaçait Adalbéron, archevêque de Reims, lointain successeur de saint Rémi. Adalbéron était assisté par l'écolâtre Gerbert d'Aurillac, qui sera le « pape de l'an mil ». Désireux de restaurer l'unité du royaume franc, sinon la restauration de l'Empire, Adalbéron et Gerbert virent en Hugues Capet le prince idéal pour assurer un renouveau politique et spirituel du royaume après les troubles des IXe et Xe siècles, d'autant plus que le jeune duc des Francs soutenait ardemment la réforme monastique introduite par Cluny quelques décennies auparavant. Hugues Capet pouvait ainsi être le « roi clunisien », le soutien temporel idéal de la vaste entreprise de réforme religieuse du monde occidental qui se poursuivit aux siècles suivants. Il soutint vigoureusement l'œuvre de saint Mayeul de Cluny et l'autonomie des monastères réformateurs, à l'exemple de l'abbaye Saint-Germain d'Auxerre. 


Gerbert d'Aurillac ne tarit pas d'éloges sur l'exemple positif d'Hugues Capet. Il écrit ainsi notamment :  « Le roi Lothaire n'est le premier en France que par son titre. Hugues l'est, non par le titre, mais par ses faits et gestes. » Le futur pape dresse ainsi quelques caractères essentiels du portrait idéal du prince chrétien, dans la grande lignée des « miroirs des princes ». Ce jugement éthique fut confirmé en 987 lors de la compétition entre Hugues Capet et Charles de Lorraine, ce dernier n'ayant pas les aptitudes morales requises pour monter sur le trône franc. C'est dans cette perspective aussi qu'Hugues confia à Gerbert l'éducation de son fils Robert, afin d'en faire un prince chrétien exemplaire.  


Cependant un conflit opposa Hugues à plusieurs évêques, hostiles à ses campagnes militaires acharnées contre la résistance des derniers Carolingiens, qui intervenaient alors que la « paix de Dieu » avait été introduite par le concile de Charroux (989). En 991, Hugues fit réunir le concile de Verzy afin de juger pour trahison l'archevêque Arnoul de Reims, neveu et principal soutien de Charles de Lorraine. Une querelle entre le temporel et le spirituel semble être inaugurée lorsque saint Abbon de Fleury fit savoir que seul le pape était compétent pour juger un évêque et convoquer un concile. Arnoul fut toutefois déposé et Gerbert d'Aurillac fut désigné comme archevêque de Reims. Les évêques francs confirmèrent cette décision face au pape Jean XV. 

Saint Valéry apparaissant à Hugues Capet (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle, Paris, BNF)

Malgré cet épisode conflictuel - qui n'est d'ailleurs ni le premier ni le dernier de l'histoire de la monarchie française - le règne d'Hugues Capet est caractérisé par un rôle politique décisif accordé aux clercs, évêques et abbés, comme conseillers privilégiés du souverain dans le gouvernement du royaume. C'est toute la doctrine diffusée par Hincmar de Reims, qui se reproduisit au fil des règnes des premiers Capétiens, et dont l'exemple type est la collaboration entre Louis VI et l'abbé Suger de Saint-Denis. Hugues Capet ne pouvait ignorer que ce soutien de l'Église dans son avènement et son gouvernement était nécessaire pour assurer la légitimité de son pouvoir et de la continuité dynastique. De leur côté, les évêques sont convaincus que la royauté est une autorité supérieure venant de Dieu qui est seul capable d'assurer, dans la cité terrestre, conjointement avec l'Église, l'établissement de la paix et de l'ordre dans la société. La prophétie dite de saint Valéry conforta la légitimation de la dynastie capétienne. Diffusée au XIe siècle, elle avançait qu'Hugues Capet avait bénéficié d'une apparition de l'abbé saint Valéry († 622), qui promit au souverain que ses descendants règneraient sur le royaume franc « jusqu'à la septième génération ». Si la prophétie était en-deçà de la réalité (!), elle participa à renforcer la légitimité et le prestige de la nouvelle famille royale.


Malgré cette utilisation politique du religieux, il ne faut pas tomber dans une interprétation excessive qui consisterait à mépriser la sincérité religieuse d'Hugues Capet, comme de ses successeurs. En montant sur le trône en 987, en inaugurant une nouvelle dynastique, il ne s'écartait pas de la longue tradition monarchique du royaume franc. Il fut ainsi, malgré ses faiblesses et ses erreurs politiques, le rénovateur du pacte de Reims. La longue continuité dynastique des Capétiens, en dépit des heurts de l'histoire, est l'illustration la plus probante de la valeur religieuse de l'évènement de 987.


dimanche 9 octobre 2016

Un portraitiste flamand oublié : Jakob Ferdinand Voet

Nous avons fait récemment la connaissance d'un peintre anversois, spécialiste du portrait, dont les talents et la renommée ont certainement été éclipsés par ses prodigieux contemporains de l'école baroque flamande (Vlaamse barokschilderkunst), Cornelis de Vos (1584-1651) ou Frans Snyders (1579-1657), et des héritiers de Van Dyck. Ce peintre mystère est Jakob Ferdinand Voet, né à Anvers aux alentours de 1639, et décédé à Paris en 1689. 

Jakob Voet, Autoportrait, v. 1670.

Comme la plupart des peintres de son temps, Voet s'est rendu à Rome auprès d'artistes flamands partis dans la Ville éternelle pour puiser inspiration et techniques dans le trésor artistique italien et fonder des écoles pour y former les jeunes peintres et graveurs des Pays-Bas. Voet s'établit en 1679-1680 auprès du graveur utrechtois Cornelis Bloemaert (1603-1692), fils du célèbre peintre maniériste Abraham Bloemaert (1564-1651). Il dut quitter Rome à cause d'un scandale suscité par certains portraits féminins, et, après des escales à Milan, Florence, Turin et Lyon, et un bref retour à Anvers, il prit le chemin de Paris où il s'installa définitivement en 1686. Il y obtint le titre convoité de peintre de la Cour.




Ses talents de portraitiste lui valurent une renommée certaine à la Cour pontificale et dans l'aristocratie romaine. Il reçut notamment la protection spéciale de la reine Christine de Suède (1626-1689), qui s'était installée à Rome après son abdication en 1654. En 1671-1672, il composa, à la demande du cardinal Flavio Chigi, une série de portraits des femmes de la haute société romaine, connue sous le nom de Galleria delle belle. Parmi ces belles représentations mettant en valeur la délicatesse et le fraîcheur de la féminité, nous pouvons noter les portraits des nièces de Mazarin, en particulier ce duo d'Hortense Mancini (1646-1699), duchesse de La Meilleraye et favorite du roi Charles II d'Angleterre, et sa sœur Marie (1639-1715), princesse Colonna, l'ancien amour de jeunesse de Louis XIV. 



La période étant celle du retour à l'antique, Hortense n'a pas hésité à se faire représenter sous les traits d'Aphrodite et de Cléopâtre, dans deux portraits où une certaine négligence vestimentaire ne faisait que mettre en valeur la séduisante personnalité de celle qui allait être la favorite du roi d'Angleterre.


Le vêtement étant un élément essentiel pour manifester le rang social des personnes, Jakob Voet n'a pas manqué de le mettre en valeur dans la plupart de ses tableaux, manifestant toute l'élégance de la mode aristocratique dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le portrait de Lucrezia Ruffo di Bagnara (1661-1722), épouse d'un marquis espagnol, en est un bon exemple :

Lucrezia Ruffo di Bagnara

Les portraits des cardinaux romains manifestent quant à eux la profondeur d'âme et la magnificence associée à la "pourpre" dont ils étaient revêtus et qui faisait d'eux des "princes de l’Église". On remarquera notamment les tableaux représentant les cardinaux Federico Baldeschi Colonna (1625-1691), préfet de la Congrégation du Concile, et Luis Manuel Fernández de Portocarrero-Bocanegra y Moscoso-Osorio (1635-1705), vice-roi de Sicile et futur archevêque de Tolède.

Le cardinal Baldeschi Colonna

Le cardinal Fernández de Portocarrero
Quant aux hommes de l'aristocratie italienne et française, ils n'ont pas été négligés par le pinceau si goûté de l'artiste flamand. Voet y conserve encore son style propre : le portrait de buste, où toute l'attention se porte sur le sujet en raison de la présence d'un fond neutre ou sombre, qui permet de concentrer l’œil et l'esprit sur le personnage en évitant toute distraction sur un éventuel décor. L'attention aux moindres détails du visage, de la chevelure et du vêtement est accompagnée d'une prodigieuse fluidité du pinceau. Voici une petite sélection de ses principales œuvres. Il est à souligner que les sujets représentés sur une grande partie des tableaux de Voet n'ont pas été identifiés.

Portrait d'un jeune homme élégant, v. 1685.
Le prince Marcantonio Colonna, v. 1679-80.
Portrait de gentilhomme au jabot de dentelle.

Philippe de Vendôme, Grand prieur de France.

Portrait de gentilhomme au col de dentelle.

François-Michel Le Tellier, Marquis de Louvois.

Il est clair que Jakob Ferdinand Voet est un portraitiste à redécouvrir. Outre les collections privées, ses œuvres sont réparties dans plusieurs musées européens, notamment la National Gallery de Londres, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles, ainsi que les musées des Beaux-Arts d'Alençon et de Paris (Petit Palais).