dimanche 20 mars 2016

La République qui ne savait plus recevoir

Savoir recevoir peut sembler au XXIème siècle un usage révolu, voire un élément purement anodin. Et pourtant l'art de recevoir est une des caractéristiques les plus universellement reconnues de la culture française, un des principes civilisateurs - au temps où nos vieux pays occidentaux baignaient dans une authentique culture - que la France exportait sans difficulté chez ses voisins. Les grandes Cours d'Europe ont imité dans les plus petits détails la splendeur française. Quant à chez nous, un Français qui ne savait pas recevoir, à quelque niveau social qu'il se trouvât, passait pour le dernier des imbéciles et des goujats. Si, en France, la monarchie a cédé la place à la république, cette dernière n'a jamais caché son faible pour les fastes de la représentation ; elle s'est sans retard empressée de s'emparer des palais de la royauté et du faste de son étiquette pour donner au monde une image de crédibilité et de respectabilité.

Banquet d'Etat au palais de Christiansborg pour le 75e anniversaire de la reine Margrethe II de Danemark. Les Danois savent recevoir !

Malheureusement, le "rêve français" s'est dissipé depuis plusieurs décennies où l'individualisme agressif a vaincu la délicatesse des rapports sociaux, où l'égoïsme a détruit le savoir-vivre-en-société, où la technique a relégué dans les oubliettes d'un musée du comportement les vénérables usages et codes de sociabilité qui construisaient la société française depuis des siècles, dans une juste adaptation aux légitimes évolutions du temps. Et j'oublie le pire : cette manie de mépriser et d'oublier si vite le passé, les traditions des pères, les grandeurs historiques, les réflexes culturels et, au fond, le bon sens qui n'échappait jadis à personne, même au journalier illettré d'une campagne profonde. Si ce qu'on peut appeler aujourd'hui le "Français de base" - qui n'est pas un archétype, ni un prototype, fort heureusement ! - est un pur produit de ce qu'on pourrait appeler l'américanisme social (et sociétal), victime plus que coupable de ces mirages d'une société sans Dieu, mais on ne peut plus païenne, incroyante mais toujours plus crédule, qui adore le veau d'or d'un matérialisme décadent, il est à constater que maintenant ce sont les structures mêmes de l’État qui sont atteintes par cette effroyable épidémie de nullité. 

Oh, cela ne date pas d'hier ! Les décideurs d'aujourd'hui, en matière politique, sont les enfants de 68' et de son cortège d'horreurs. Certains ont quand même gardé quelques principes, au moins pour la façade, non pour se donner bonne conscience mais pour briller sous le feu des projecteurs et dans les milieux mondains restés encore attachés à certains codes. Mais voilà, un nouveau prétexte fait fureur depuis quelques années : l'austérité. 

On avait connu l’Église des pauvres et ses évêques qui, sous prétexte de simplicité, se revêtaient de ponchos en moquette et de mitres en toile cirée, pressés d'abandonner - ou d'envoyer au bûcher - les splendides ornements légués par leurs prédécesseurs. Finies les dorures et les soies brodées, signes d'une Église "triomphaliste et baroque" ! Vive le Tergal, le plastique et le polyester. Faisons pauvre, quitte à vider les comptes en banque pour acheter tous ces oripeaux qui, en fin de compte, coûtent quelques belles liasses de billets. Eh oui, jouer au pauvre, cela coûte cher !

Sa Normalité ne rate pas une entorse au protocole : Monsieur prend la reine par le coude !

Et maintenant c'est au tour de nos politiques. Pour faire de l'austérité. Ah, vous n'avez sans doute rien compris ! Il ne s'agit pas de baisser le salaire des ronfleurs du Palais Bourbon ou des joueurs de Scrabble du Luxembourg, de mettre un bon coup de pied dans la cabane pourrie de la Sécurité sociale et d'en finir avec les prodigalités socialisantes qui ont le chic de payer les gens à ne rien faire et d'entretenir l'oisiveté dans la société française. Non, l'austérité doit plutôt passer par cette "propagande de l'image" donnée à l'étranger, spécialement dans le cadre des réceptions officielles de l’État dont il faudra bien évidemment raboter au maximum les crédits. 

En ce domaine, le "règne" Hollande a atteint des sommets. La représentation de la France à l'étranger est à l'image de l'anti-modèle d'homme politique qu'incarne le locataire de l’Élysée. Souvenez-vous de la visite d’État du roi Charles XVI et de la reine Silvia de Suède, en mars 2014. Outre l'essaim d'intenables socialistes qui gravitait autour du couple royal lors des différents rendez-vous officiels, et les gesticulations habituelles du premier clown de la République, le pompon fut réservé au banquet d’État. Normalement - mais pas semble-t-il pour le "président normal" - un banquet d’État  est l'occasion d'affirmer la visibilité des pouvoirs, à travers les détails vestimentaires et autres ornements qui les représentent - ce que les Anglais appellent le "dress code". Malheureusement, en France, l'étiquette a été vulgairement décollée pour laisser la place à un semblant de simplicité qui fait peur tant il donne désormais une image de ridicule à notre pays.L'homme le plus ridicule de France, qui ne sait même pas ajuster une cravate, aurait-il peur de mettre à l'envers le frac ou le cordon ? Résultat, l’Élysée impose pour tout le monde un insaisissable "costume sombre", pas de chichis entre nous, faisons à la bonne franquette !  Évidemment, un tel épisode a su donner de l'eau au moulin des magazines people, moins préoccupés de cérémonial que de scandales en tout genre, tel Voici qui titrait  : "François Hollande est un rustre avec les monarques"

Il est vrai qu'il n'aura pas osé aller aussi loin lors de la visite de la reine Élisabeth II à l'occasion du soixantième anniversaire du D-Day, en juin suivant. Peut-être la généreuse République avait-elle économisé ce qu'il fallait pour dresser une digne table en harmonie avec les diadèmes royaux ? En tout cas, je ne pense pas que les rois de Suède aient eu des jambon-beurre parisiens dans une assiette jetable, sous les ors élyséens...

Pourtant, chassez le naturel et il revient au galop. La République du ridicule ne peut quitter longtemps les oripeaux de sa goujaterie. Le 10 mars dernier, ce fut au tour du couple royal néerlandais de se rendre à Paris en visite d’État et d'affronter l'ignorer-vivre du camarade Hollande. Une fois encore, pas d'uniforme, pas de diadème, pas de robe longue, la pseudo bonne franquette de l'austère République doit s'imposer à tous. Il est vrai que la reine Maxima aura fait une incomparable économie en n'apportant pas avec elle une robe déjà taillée et un diadème du trésor royal qui ne demandent qu'à être sortis de leur boîte. Comme les chasubles anciennes de nos cathédrales. Mais non, la République, jadis si prompte à blâmer la monarchie tout en étalant le plus royal luxe qui soit, a décidé de pactiser avec le ridicule. Heureusement, la reine Maxima s'était mise sur son trente-et-un pour relever un peu le niveau de ce festin de la normalité, comme la reine Silvia deux ans plus tôt.

On sait bien que le propre des socialistes est de tout niveler par le bas, d'abrutir le peuple, de rabaisser les élites et d'entretenir dans la médiocrité les plus simples. Tant qu'il s'agissait d'une politique intérieure, les répercussions à l'étranger n'étaient pas trop flagrantes. Mais là, la République socialiste a décidé de passer au stade supérieur, celui de la politique étrangère. Donner l'image d'une France de la médiocrité, de la nullité, de la mocheté. 

Du temps de René Coty (1954), on savait recevoir les reines !

Vous me direz : "Que va changer un diadème ou un uniforme à une réception ?" Je répondrai, beaucoup. Le souci du détail n'est pas une bagatelle. Le respect de l'étiquette est le minimum du respect et de la charité envers autrui, spécialement envers les détenteurs d'une quelconque autorité dans la société. Au contraire, prendre ses invités pour des imbéciles en imposant, sous de fallacieux prétextes, un code vestimentaire totalement original, est loin d'être respectueux et charitable. C'est donner non seulement à ces chefs d’État étrangers et à leurs peuples l'image d'un gouvernement d'hypocrites - on simplifie le "dress code" mais on s'en met plein le cornet - et d'un pays - le gouvernement étant sensé le représenter - de gougnafiers ! Il suffit de voir les réceptions officielles en Angleterre, au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, en Russie, même aux États-Unis, et j'en passe, pour se rendre compte qu'il s'agit bien là d'une follia francese

Signe des temps ? Quand un régime politique n'a même pas honte de se ridiculiser aux yeux de l'étranger, c'est qu'il est franchement temps de précipiter sa fin... En tout cas, une fois encore, pour reprendre dans leur jus les mots de Michel Audiard : "Les conneries, c'est comme les impôts : on finit toujours par les payer". Rendez-vous en 2017 !