vendredi 27 novembre 2015

La cantate "Nun komm der Heiden Heiland" de Bach

Nous entrons dans le temps liturgique de l'Avent, préparation à la grande fête de Noël. La musique illustre d'une manière particulière cette période de l'année chrétienne, et en particulier notre grand Johann Sebastian Bach, au fil de ses cantates sacrées.

Parmi celles-ci, trois ont été consacrées au premier dimanche de l'Avent (BWV 61, 62 et 36 dans le catalogue des œuvres de Bach), dont les deux premières commencent par les mêmes paroles : "Nun komm der Heiden Heiland", venez maintenant, Sauveur des païens, et, quoique sur des thèmes différents, évoquent prodigieusement le thème central du temps de l'Avent.

Erdmann Neumeister (1671-1756), compositeur du libretto
La première de ces cantates (BWV 61) est la plus célèbre. Elle fut composée en 1714, alors que notre compositeur venait de prendre à Weimar la charge de Concertmeister. Rappelons que, dans les principautés luthériennes allemandes, la musique occupait une place quasi-institutionnelle dans le cadre du culte. Des ordonnances spéciales étaient prises par le gouvernement de ces principautés afin d'organiser le culte ; un grand nombre d'entre elles furent consacrées à la musique d'église. La cantate constituait la "musique principale" de la liturgie, à côté des pièces d'orgue. Parfois introduite par un prélude instrumental, la cantate est découpée en plusieurs parties (chœurs, chorals, arias, récitatifs), distribuées entre les différents moments de la célébration.

La cantate de l'Avent commence par un chœur en la mineur, qui fait appel à la venue du Christ Sauveur, attendu depuis des siècles par les prophètes de l'antique Alliance : "Venez maintenant, Sauveur des païens, reconnu comme enfant de la Vierge, afin que le monde entier s'étonne que Dieu ait commandé pour lui une telle naissance". Ce sont ces paroles que tout le reste du libretto (c'est-à-dire du texte littéraire composé pour être adapté musicalement) du théologien Erdmann Neumeister va développer en adéquation avec un véritable commentaire musical. Le chœur initial est marqué par la gravité (lenteur) et la solennité (vivacité), typique de l'ouverture alla francese, signifiant l'annonce de la venue du Rédempteur, son entrée dans le monde, à l'image de son entrée royale dans Jérusalem au jour des Rameaux (d'ailleurs, c'est l’Évangile des Rameaux qui fut choisi par Luther pour le premier dimanche de l'Avent), et en même temps la manifestation de la Majesté divine à une humanité dans l'attente de son salut. La royauté du Christ est le leitmotiv de cette ouverture.

Comme le souligne Gilles Cantagrel, le motif initial du chœur d'ouverture correspond au motif en croix (Kreuzmotiv), caractéristique de l'expression de la douleur, repris par Bach dans le cri de condamnation de la Passion selon saint Matthieu (Lass ihn kreuzigen !, Crucifie-le !). Un tel motif souligne le lien, évident dans la pensée d'un compositeur nourri par les Écritures, entre la Nativité et la Passion, le Christ étant venu sur terre afin de se sacrifier pour racheter les péchés des hommes.

A noter aussi que les paroles initiales (Nun komm der Heiden Heiland) sont répétées à quatre reprises, par les quatre voix dans un ordre bien déterminé (soprano, alto, ténor et basse), illustrant un mouvement descendant du Ciel vers la terre, autrement dit le mystère de l'Incarnation, de la descente du Verbe de Dieu dans l'humanité. La dernière partie se conclut brièvement et majestueusement pour rappeler que c'est la volonté divine (Gott... bestellt) qui se manifeste avant tout à travers cette venue du Christ Sauveur.

La partition originale de Johann Sebastian Bach

Suit un récitatif de ténor (mvt 2) loue l'Incarnation du Fils de Dieu et l'inépuisable générosité de Dieu envers les hommes. Was hast du nicht an uns getan ? Que n'avez-vous pas fait pour nous ? Le récitatif est le moment privilégié de la catéchèse, de l'enseignement sur les vérités de la foi pour l'élévation spirituelle du chrétien.

Le ténor continue dans une aria (mvt 3) où il chante l'espérance des chrétiens envers leur Sauveur et implore la venue du Christ (Komm, Jesu, komm zu deiner Kirche) pour sa gloire (Befördre deines Namens Ehre, Répandez l'honneur de votre Nom) et la bénédiction de son Église (segne Kanzel und Altar, Bénissez la chaire et l'autel). Ce qui n'est pas évidemment un thème exclusivement luthérien, nous le voyons.

La voix de basse intervient alors dans un récitatif (mvt 4) : c'est la voix du Christ qui annonce sa présence à notre porte et s'invite à souper. Le repas occupe une place essentielle dans l'Evangile, et avant tout la dernière Cène, lieu de l'annonce des plus grands mystères (rédemption, eucharistie, sacerdoce) et des plus profondes vérités (amour du prochain) de l'enseignement du Christ. Ici, le libretto reprend mot pour mot le récit de l'Apocalypse (3, 20) :  "Voici que je me tiens à la porte et je frappe : si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi". Les pizzicatos des cordes illustrent à merveille le Christ frappant à la porte !


Changement de tonalité avec une aria pour voix de soprano (mvt 5, en sol majeur). C'est l'âme chrétienne qui manifeste sa prière joyeuse à son Sauveur qui vient de frapper à la porte de son cœur. Öffne dich, mein ganzes Herz, Ouvre-toi entièrement, mon cœur. L'âme prie le Seigneur de faire d'elle sa demeure (Dass ich seine Wohnung werde) pour son propre bonheur, mais aussi pour la joie de son Sauveur. C'est la "lumière de la grâce", rappelle G. Cantagrel, qui semble se répandre à travers cette aria. L'Avent est, comme le Carême, une période privilégiée de nouvelle conversion pour le chrétien, qui doit abandonner les plaisirs de ce monde pour accueillir Dieu seul dans la pureté de son cœur. Une partie centrale, adagio, exprime la vanité de l'homme qui ne peut trouver son bonheur qu'en Dieu. 

Enfin, la conclusion est à la hauteur de l'ouverture, avec un choral (mvt 6, en sol majeur aussi) qui termine la prière de l'âme (Amen, amen) tout en appelant joyeusement et solennellement le couronnement réservé aux saints (Komm, du schöne Freudenkrone) tant attendu par l'âme chrétienne (Deiner wart ich mit Verlangen, je t'attends avec désir). L'achèvement en douceur sur une "volubile arabesque" (Cantagrel) des violons et altos, est comme le retour au Ciel de l'âme sauvée par Celui qui est descendu dans le premier mouvement (quadruple Nun komm). Ce Ciel vers où les yeux du chrétien regardent durant l'Avent pour implorer la venue du Messie.

Voici une interprétation réalisée sous la baguette du grand maître du baroque autrichien, Nikolaus Harnoncourt,  en 1975, avec le Tölzer Knabenchor et le Concentus musicus Wien. A noter la magnifique prestation du ténor autrichien Kurt Equiluz.


Note : la majeure partie de cet article s'appuie sur le chapitre consacré par Gilles Cantagrel à cette cantate dans son ouvrage majeur et incontournable, Les cantates de J.-S. Bach.

samedi 21 novembre 2015

Les quarante ans de la mort de Francisco Franco

Nous fêtons cette année le quarantième anniversaire de la mort de Francisco Franco y Bahamonde (1892-1975), Caudillo d'Espagne, qui a gouverné le royaume de 1939 à sa mort. Je me rappelle avoir prié avec émotion sur sa tombe, en la basilique de la Valle de los Caidos, voici quelques années, pour lui et pour tous les Espagnols qui sont tombés pour ce noble pays, de quelque bord qu'ils fussent, durant la tragique guerre civile de 1936-1939.

Le personnage de Franco a fait couler beaucoup d'encre, et il continuera à en faire couler. Comme tous les hommes politiques d'une certaine droite forte, nationaliste, protectionniste, d'inspiration catholique, il est arbitrairement rangé dans l'album de la damnatio memoriae, au même titre que les Hitler, les Mussolini et les Staline. Si la critique interne et externe de son gouvernement s'est peu faite entendre durant sa vie, c'est un véritablement déferlement médiatique, culturel et politique qui cherche, depuis quarante ans, à défigurer sa mémoire, à en faire un tyran, une brute sanguinaire, un déséquilibré dangereux, et caetera. Sans compter que c'est un bon moyen de s'en prendre une fois encore à l’Église catholique, en l'accusant de protéger les "méchants fascistes" contre les "gentils communistes", et j'en passe, on connaît la chanson.

Face à une vision unique de l'histoire


Ce n'est pas en quelques lignes que nous allons remettre les pendules à l'heure. Si nous n'acceptons pas de voir sa personne clouée au pilori, nous ne cherchons pas non plus à le porter aux nues - Dieu seul est juge ! L'objectivité historique et la vision catholique (équilibrée, intelligente et dénuée de tout préjugé) de l'histoire doit fonder notre critique. Et cette critique n'a pas peur des sirènes d'une certaine censure contemporaine, qui, au nom de la lutte contre les négationnismes et révisionnismes de toute sorte (pas tous, semble-t-il, la Vendée par exemple n'en faisant pas partie), interdit toute honnête réflexion historique. Cette même critique qui va ranger systématiquement Franco dans la catégorie des "méchants dictateurs", sur la base d'une histoire stéréotypée de la guerre civile d'Espagne et du régime franquiste, foncièrement "droitophobe" et anti-catholique. C'est toujours pareil. Sur la question de la guerre civile, pour ne m'arrêter là, il suffit d'abord de rappeler qu'il s'agit d'une guerre civile, et non d'un putsch militaire, opposant entre eux les enfants d'un même pays. Dans une guerre civile, il faut choisir son camp et ne pas tergiverser. En tant que catholique, je ne peux pas avoir d'autre solution que de suivre les nationalistes. Pourquoi ? Parce que les autres, les républicains, avaient pendant cinq ans (1931-1936), et ensuite, pendant les trois années sanglantes qui suivront, non seulement engagé une politique de division, mais aussi déclaré une véritable guerre à l’Église catholique, en profanant les églises, en dépouillant de leurs biens les couvents, en insultant, brutalisant sinon massacrant de nombreux clercs et fidèles. Il suffit de savoir compter ! Voilà le dénombrement (en 2008) des catholiques tués en haine de la religion, certains ayant ensuite été béatifiés par l’Église : plus de 10 000 catholiques ont été martyrisés, dont 12 évêques, une trentaine de séminaristes, plus de 4140 prêtres, 2635 religieux et 238 religieuses et environ 3000 laïcs. Après cela, qu'on ne me parle pas en noir et blanc des "gentils républicains" et des "méchants nationalistes" ! Je laisse la parole au sage pape Pie XI, qui dénonçait, loin des détours et contorsions intellectuelles de notre époque, "la haine satanique de Dieu professée par les républicains".  L'historien espagnol Bartolomé Benassar écrivait que cette persécution n'était pas juste un débordement lié à un temps d'anarchie, mais qu'il "existait bel et bien un projet de destruction de l'Église catholique et de la religion". N'en déplaise à ces gesticulateurs improvisés historiens qui se glorifient de leurs thèses négationnistes en la matière... Voici quelques photos illustrant bien la réalité de cette persécution :

Des cercueils de religieuses profanés à Barcelone en 1936
Les dignes fils de la Révolution en pleine profanation. De gentils inconscients ?
Un prêtre exécuté en 1936. Nous émeut-il moins que F. Garcia Lorca ?
La question ne se pose même pas pour moi, en tant que catholique : je ne peux pas tolérer les agissements des Rojos, je ne peux que prendre le parti des Azules. Évidemment, cela ne peut pas dire que je soutiens les exactions commises durant la guerre : si je condamne absolument les crimes des républicains, je ne peux approuver ceux des nationalistes. Dans toute guerre, il y a des exactions, des vengeances, exacerbées au fil des jours et des mois d'un conflit qui s'enlise. L’Église a toujours condamné les exactions. C'est pourquoi, dans le bilan de cette guerre, n'allons pas trop vite en besogne, en faisant grossir les chiffres pour faire connaître le "vainqueur ès atrocités" du conflit. Après une guerre, on cherche la paix. Franco a voulu cette paix, a voulu réconcilier les Espagnols. La construction du sanctuaire national de la Valle de los Caidos, à l'ouest de Madrid, en est le symbole fort. Un symbole malheureusement rejeté par beaucoup d'enfants et petits-enfants des victimes de la guerre, souvent moins enclins à connaître, à réfléchir et à pardonner que leurs ancêtres. Tous les nationalistes n'étaient pas des assassins ; tous les républicains ne l'étaient pas non plus. La politique d'épuration mémorielle de M. Zapatero, funeste président du Conseil des ministres espagnol de 2004 à 2011, a voulu rayer de la surface de l'Espagne tout souvenir de Franco et de la réconciliation que ce dernier a voulu réaliser. Et je ne parle pas de la prétendue culture contemporaine qui sélectionne bien ses œuvres d'art, nous faisant larmoyer sur le Guernica de Picasso ou sur les dernières paroles de Garcia Lorca, comme s'il n'y avait eu aucun bombardement de village nationaliste ni aucun écrivain franquiste tué en trois années de guerre civile... A d'autres !

Franco, chef d’État et chrétien


Cette insupportable "sélection historique" que veut nous imposer le prêt-à-penser libéralo-démocratique actuel nous fait retomber sur la personne de Franco. 

Il est souvent vrai que les dernières paroles d'un grand homme résument sa vie et ses actes et révèlent un visage souvent inconnu sinon déformé par ses ennemis. Comme tout homme, Franco n'était pas infaillible. Ainsi, comme Louis XIV, Napoléon et De Gaulle, pour ne citer que les plus connus, Franco a commis des erreurs. Franco était d'abord un chef militaire, qui devait faire appliquer une discipline, des règles et faire triompher ses armes. Franco fut ensuite un chef d’État, qui devait à la fois défendre un héritage (celui d'une Espagne multiséculaire, et non pas une idéologie "fasciste" comme on a voulu affirmer du franquisme) et réconcilier les Espagnols après dix années de crise et de haine. Sauf qu'on ne gouverne pas en claquant des doigts, on ne défend pas des principes en jouant au polichinelle et on ne réconcilie pas les gens à coups de promesses fantômes. Franco était un politique et non un politicien. Comme Richelieu en son temps, il avait le sens de l’État et a donné sa vie, non pour défendre une idéologie fascisante (sinon on lui aurait réglé son compte en '45), non pour s'en mettre plein les poches (à la différence des "gentils" dictateurs communistes, tels Ceaucescu et compagnie, dont les indéniables crimes ont vite été oubliés, en tout cas invisibles dans les manuels scolaires), non pour mourir en égoïste autocrate (après moi le déluge !). Si Richelieu a subi la haine de ses contemporains et si à son image sont fixés comme des sangsues culturelles les stéréotypes bien connus véhiculés depuis des siècles par certains littérateurs, Franco et son image sont confrontés aussi à une certains propagande noircissante. 


Pour saisir le personnage, comme nous le disions, il faut revenir aux dernières paroles. Voici le texte du testament de Franco :

"Au moment où arrive pour moi l’heure de rendre ma vie au Très-Haut et de comparaître devant son Jugement sans appel, je demande à Dieu de m’accueillir avec bonté en sa Présence, car j’ai voulu vivre et mourir en catholique. Mon honneur est dans le nom du Christ, et ma volonté a été constamment d’être un fils fidèle de l’Église, dans le sein de laquelle je vais mourir.
Je demande pardon à tous, comme je pardonne de tout cœur à tous ceux qui se déclarèrent mes ennemis, sans que je les tinsse pour tels. Je crois et je désire ne pas en avoir eu d’autres que ceux qui le furent de l’Espagne, Patrie que j’aime jusqu’au dernier moment et que j’ai promis de servir jusqu’à mon dernier souffle, que déjà je sais proche.
Je veux remercier tous ceux qui ont collaboré avec enthousiasme, désin­téressement et abnégation à la grande entreprise de faire une Espagne unie, grande et libre.
Pour l’amour que je ressens envers notre Patrie, je vous demande de per­sévérer dans l’unité et la paix et d’entourer le futur Roi d’Espagne, Don Juan Carlos de Borbón, de la même affection et loyauté que vous m’avez offert et de lui offrir, à tous moments, le même appui de collaboration que j’ai reçu de vous.
N’oubliez pas que les ennemis de l’Espagne et de la Civilisation chré­tienne sont en alerte. Veillez, vous aussi, et dans ce but abandonnez, face aux suprêmes intérêts de la Patrie et du peuple espagnol, tout projet personnel.
Efforcez-vous d’atteindre la justice sociale et de donner la culture à tous les hommes d’Espagne, et faites de cela votre objectif primordial.
Maintenez l’unité des terres d’Espagne, exaltant la riche multiplicité de ses régions, comme source de la solidité de l’unité de la Patrie.
Je voudrais, en mon dernier moment, unir les noms de Dieu et de l’Espagne, et vous embrasser tous, pour que nous criions ensemble, pour la dernière fois, sur le seuil de ma mort :
Debout l’Espagne ! Vive l’Espagne ! (¡Arriba España ! ¡Viva España !)"

Le Caudillo vénérant le crucifix

Évidemment, en lisant ces lignes, on imagine mal de telles paroles dans la bouche d'un horrible dictateur. On y voit d'abord tout simplement un chrétien, qui témoigne de son attachement à l’Église, de sa foi en Dieu, de sa fidélité au Christ. Et en tant que tel, tout simplement, en mortel au seuil de la mort, il demande pardon à Dieu pour ses fautes. Comme homme politique chrétien, il donne ensuite des avertissements à ses successeurs : chercher l'intérêt commun, défendre la civilisation chrétienne, faire œuvre de justice sociale, cultiver les peuples. Tout cela, n'importe quel chef d’État sensé et honnête devrait le dire. Malheureusement, en notre triste époque, il y a bien peu de chefs d’État sensés et honnêtes. Les satisfactions personnelles et partisanes ont remplacé l'intérêt commun, l'épouvantail de la démocratie est le seul et exclusif cheval de bataille civilisationnel, le socialisme décadent et suicidaire a remplacé la véritable justice sociale, l'idéologie post-moderne est le seul hochet culturel offert aux peuples. 

Francisco Franco, dans sa vie d'homme ordinaire, seul, en famille ou en société, a vécu en chrétien. Tout simplement. S'agenouillant comme le paysan de Castille, se confessant comme la fileuse de Saragosse, faisant oraison comme le moine de San Tomas d'Avila. 

Oui, mais, nous opposera-t-on, comment pouvait-il conjuguer sa foi et ses crimes ? Des crimes ? Il est trop tôt pour analyser historiquement, en toute objectivité, en dehors des passions politiques, les quarante années de son gouvernement. Certainement, comme nous le disions, il a commis des erreurs, parce qu'il n'était pas infaillible. Certainement, il s'agissait d'un régime d'autorité, bien nécessaire toutefois pour pacifier un pays déchiré. Certainement, il a usé des moyens de coercition face à une opposition farouchement hostile, et parfois dangereuse pour la sécurité de l’État. Mais est-ce que le seul fait d'être un opposant justifie toute opposition et tous moyens d'opposition ? Encore une fois, seuls les documents et témoignages authentiques, analysés avec objectivité et neutralité, peuvent nous renseigner. Mais cela prendra du temps. Il faudra nécessairement, en tout cas, relativiser la lecture historique de gauche qui prévaut sur la question franquiste depuis plusieurs décennies, de Guernica à la poignée de main avec Hitler (qui, rappelons-le, a aussi serré la main du grand mufti de Jérusalem et tant d'autres), et tout le cortège du "choc des photos" qui transforme la science historique en magazine pour abrutis.

Quoi qu'il en fût, en ce quarantième anniversaire, c'est un désir de paix qui nous rassemble autour de la mémoire de Franco. Nous venons prier pour le repos de l'âme d'un chrétien, et pas n'importe quel chrétien. Quelqu'un qui a défendu contre vents et marées la civilisation chrétienne et la culture espagnole. Quelqu'un qui, dans sa vie personnelle, a été un modèle de laïc vivant de sa foi. Quelqu'un qui a souffert pour son pays, même l'incompréhension et la haine de ses contemporains. Quelqu'un qui a sacrifié son repos au bien et à la sûreté de l’État et de ses concitoyens. Quel homme politique actuel lui arrive à la cheville ? Ne levez pas tous la main en même temps, s'il vous plaît...




jeudi 5 novembre 2015

Le roi est mort, vive le roi !

        

Ouvrons tous nos yeux
A l'éclat suprême
Qui brille en ces lieux.
Quelle grâce extrême !
Quel port glorieux !
Où voit-on des dieux
Qui soient faits de même ?

(Molière, Les amants magnifiques, 1670)



       Le 1er septembre 1715, voici trois cents ans, Louis XIV s'éteignait dans sa chambre du château de Versailles, après une longue agonie, à quelques jours de son soixante-dix-huitième anniversaire. La mort l'avait frappé, lui, qui semblait immortel, ce "plus grand roi du monde" qui brillait comme le soleil en Europe, qui avait affirmé la puissance de la France sur terre et sur mer, dont le courage n'avait pas connu d'ombre en soixante-douze ans de règne. C'est le même prince, qui avait recueilli à cinq ans le lourd et prestigieux héritage laissé par son père Louis XIII, qui fut confronté très jeune aux troubles de la Fronde ; qui paracheva l’œuvre de son parrain et mentor, Mazarin, lui-même héritier du grand Richelieu ; qui contribua à l'incontestable prestige de la France et à ce rayonnement culturel qui subsiste encore de nos jours, et dont le joyau de Versailles constitue le point d'orgue. 

        Car Versailles est bien la synthèse de la vie et de l’œuvre du grand monarque. Elle est une scène sur laquelle se produit l'Acteur principal de ce grand théâtre de la vie et de la mort, de la paix et de la guerre, des arts et des sciences, des mers et des campagnes, qu'est la France. Théâtre immortalisé par Le Brun sur les plafonds de la galerie des glaces.

         La triple mort du roi


La mort de Louis XIV, par Thomas Jones Henry Barker (vers 1835), musée A.-Lécuyer, Saint-Quentin


        En mourant, Louis XIV apparaît dans une triple dimension. Il meurt comme un roi, entouré des égards dus à son auguste fonction, conscient des devoirs de sa charge et déterminé à transmettre à son successeur, survivant d'une longue suite de deuils, le petit dauphin Louis, âgé de cinq ans, la Couronne et le lourd fardeau de responsabilités qui l'accompagne. Il meurt comme un chrétien, puisque tout ce qu'il a reçu de dignités et de privilèges sont d'abord un don de Dieu ; il s'avance vers les portes de l'éternité, devant lesquelles il devra rendre compte de sa gestion et des fautes qu'il a pu commettre durant sa vie ; il s'offre comme le pauvre homme de la rue aux secours de l’Église pour offrir son mea culpa et rendre à Dieu ce qu'il a reçu. Il meurt comme un homme, car aucun homme, fût-il un nouvel Apollon ou le plus grand monarque de l'univers, ne peut échapper à cette loi brutale et irréformable de la nature.

          Ses derniers moments, comme le soin et les attentions portées à sa dépouille mortelle, seront avant tout marqués par la présence de l’Église catholique, apostolique et romaine, dans laquelle il est né et dans laquelle il meurt, à laquelle il a toujours eu conscience d'appartenir, malgré ses péchés et ses infidélités passées, s'agenouillant comme n'importe quel autre chrétien devant l'autel et ses ministres. La préparation à la mort et les hommages funèbres proprement dits créent une rupture dans la continuité pour la fonction royale. Le roi meurt, il sera roi jusqu'à son dernier souffle, mais il abandonne les prérogatives de sa charge et les honneurs des hommes pour se retrouver seul à seul, accompagné par la prière des siens, c'est-à-dire de sa famille, de sa Cour et de ses humbles sujets, avec le Souverain Maître, le Roi des rois, le juste Juge.

        C'est après avoir reçu les sacrements de l’Église, salué et exhorté ses proches, exposé ses dernières volontés, que l'âme quitte le corps du monarque. "Le roi est mort, vive le roi". Oui, car si le détenteur du pouvoir royal a quitté le monde des vivants, le pouvoir royal demeure et est ipso facto remis au successeur légitime. Pour Louis XIV, il n'y avait pas l'ombre d'un doute malgré les inquiétudes familiales de ses dernières années de règne. Un enfant petit et fragile lui succède, mais qu'importe, la monarchie est sauve, la France est soulagée, comme au moment même de sa naissance, le 5 septembre 1638, qui fut vécue par tous les Français, des palais comme des chaumières, comme un don de Dieu. Le prénom de Louis-Dieudonné ne lui fut-il pas attribué ? Le don de Dieu est toujours présent, malgré les fautes et les faiblesses personnelles du monarque : "Je m'en vais, mais l’État demeurera toujours". Car il lui faut céder la place, en toute humilité, et transmettre ce qu'il a lui-même reçu, tout en consolant ses proches, comme ses valets en larmes près de son lit de souffrances : "Pourquoi pleurez-vous, est-ce que vous m'avez cru immortel ?" Ces paroles seront reprises par l'oratorien Jean-Baptiste Massillon dans son éloge funèbre du défunt roi.

        Louis XIV est mort. Les médecins en font l'attestation. Le curé le note dans son registre, à la date du 9 septembre. Une notice émouvante. Louis XIV succède à Jean-Louis Le Roy, un nourrisson, fils d'un marchand du Petit Montreuil. La mort est la seule égalité authentique et indiscutable. Le registre atteste de cette profonde vérité.


         Pompes royales et magnificence funèbre


        Autour de la dépouille du monarque va se développer tout un apparat régi par des règles aussi strictes que cette étiquette qu'il a lui-même codifiée avec soin pour la Cour. Ces "pompes funèbres" ne datent pas d'hier. Les rites funéraires égyptiens ou perses ne manifestaient-ils pas déjà, tous païens qu'ils étaient, l'universalité de cette croyance en l'au-delà et du respect à porter envers les morts.




         La foi chrétienne a donné à ces rites une nouvelle dimension, celle de l'espérance de la Résurrection, fondée dans le mystère de la Résurrection du Christ. Tout l'apparat funèbre, au-delà d'une certaine tristesse et de la réalité de la mort mise en scène par l'art funéraire, est profondément marqué par cette espérance du ciel.

          La dépouille mortelle du roi est d'abord remise entre les mains des embaumeurs, chargés de préparer soigneusement son corps et d'ôter, selon le vieil usage, les viscères et le cœur, qui seront précieusement conservés dans des vases déposés dans une église ou un sanctuaire cher au monarque défunt. Puis le corps est exposé solennellement sur le lit d'apparat de la chambre du roi, devant lequel les foules de courtisans vont défiler pour déposer leurs hommages. C'est aussi dans cette chambre que prélats, prêtres et religieux vont continuer leurs prières, récitant le touchant Office des morts. Au fil des psaumes récités avec une simplicité et gravité, l'âme du roi est confiée à la miséricorde de Dieu. Le De profundis est le cri de l'âme qui implore le Seigneur d'écouter son appel et de lui ouvrir les portes du Ciel.

         Pendant ce temps, la Cour a pris les vêtements du deuil. Des couleurs sombres, des ornements dépouillés de fioritures, remplacent les habits somptueux des fêtes. Ces détails du vêtement ne sont pas anodins. Ils sont l'expression de la peine liée à la mort d'un être cher. Le roi est le père de tous ses sujets. Les Français ont perdu leur père et manifestent leur tristesse filiale. La chambre royale est tendue de tapisseries noires brodées d'argent, où les fleurs de lys, symbole de la continuité monarchique, sont représentées en nombre. Ce même apparat se manifestera dans le cortège funèbre qui conduira, le 9 octobre suivant, le cercueil du défunt roi vers sa dernière demeure, le tombeau de ses ancêtres, en l'église royale de Saint-Denis.



        Magnificence et simplicité sont les deux caractères de ces pompes funèbres royales. Conscient de la difficile situation économique de la France, et tirant des leçons de ses prodigalités d'hier, Louis XIV avait mis un point d'honneur à ce qu'on ne fasse pas de dépenses extravagantes à l'occasion de ses funérailles. On aura beau chercher partout un tombeau à l'image de la grandeur de son règne, on se fourvoiera purement et simplement ! Le discret monument qui lui fut plus tard élevé dans la crypte de Saint-Denis en est la preuve.

        Sous les voûtes de l'abbatiale, tout un décorum fut installé, comme des décors pour l'ultime scène d'un théâtre funèbre. Rien de surprenant, car cela fait partie de ces "pompes" que nous avons oubliées de nos jours, et qui, loin de célébrer la gloire du défunt, célébraient celle de Dieu, maître de la vie et de la mort.


      La Messe de requiem fut enfin chantée pour accompagner le grand monarque vers le Royaume éternel. Puis son corps fut déposé dans la fosse, qui nous rappelle que "tout est vanité", comme le disait l'Ecclésiaste, lecture chère au défunt prince. Le règne de Louis XV commencera par le traditionnel deuil, qui dura plusieurs mois, un moyen de rappeler à tous la présence de son prédécesseur et de méditer sur le but de la vie de tout homme, y compris d'un roi.

        Une exposition pour retrouver le sens de la mort


      Une exposition intitulée "Le roi est mort", commémorant le tricentenaire de la mort de Louis XIV, est proposée au château de Versailles jusqu'au 21 février 2016. Un évènement à ne pas manquer ! Une présentation surprenante et enrichissante de cet apparat qui entourait les funérailles royales en France, avec de nombreux objets rassemblés et décors restitués.

      En outre, n'oublions pas que Nunquam retrorsum voit aussi dans cette exposition un moyen de toucher les intelligences et les cœurs. Les funérailles royales ne nous mettent-elles pas la réalité de la mort devant nos yeux ? Nous vivons dans un monde qui cherche de plus en plus à occulter la mort. Et pourtant, nous n'avons jamais connu société aussi morbide. La culture ambiante est imprégnée de cet esprit peu attrayant pour des âmes sensées... En contemplant les pompes funèbres de jadis, nous sommes loin des profanations quotidiennes de cimetières, de l'athéisme forcené qui veut tirer un trait sur l'au-delà, mais aussi de ce refus contradictoire de la mort. Les gesticulations annuelles autour de l'évènement commercial "Halloween" illustrent bien cette popularisation de refus de la mort. On se moque de la mort en prétendant qu'elle ne fait pas peur. Et pourtant, dès que les excitations d'un soir sont envolées, et que la mort entre de nouveau de plain-pied dans notre existence, nous avons peur et nous fuyons. Pourquoi ? Parce que nous n'avons plus la foi en la résurrection et dans le bonheur éternel promis par Dieu, parce que nous n'avons plus l'espérance qui fixe nos yeux vers l’Éternité, parce que nous n'avons plus de charité authentique vis-à-vis de nos défunts, en priant pour eux et en fleurissant leur tombe.

        En outre, s'il y a un problème religieux à la base, il y a aussi un problème d'éducation. Comment parler de la mort aux plus jeunes lorsqu'elle se produit dans la famille ? Là encore, il faut savoir trouver les mots. Et ces mots sont d'abord et avant tout des mots d'espérance, ces mots chantés par les la Messe de Requiem, dans ses mélopées grégoriennes comme dans ses interprétations polyphoniques (Campra et Biber nous plongeant dans l'ère baroque, et plus tard Mozart, Cherubini ou Fauré). Et puis, enfin, si on parle toujours aujourd'hui de "pompes funèbres", nous sommes loin des pompes de jadis. Que dire, dans la plupart de nos églises, des cérémonies au rabais, où le panégyrique du défunt remplace une homélie sur l'éternité, où les chansonnettes à deux sous ont pris la place du Subvenite et du Dies irae, où les "laïcs engagés" se sont substitués aux prêtres revêtus des beaux ornements noirs brodés d'argent ? Tout cela avait du sens jadis, pourquoi n'en aurait-il plus aujourd'hui ? La froideur administrative des funérailles "laïques", entre les salons glaciaux de certains centres funéraires et le tapis roulant du crematorium, n'aurait-elle pas suffi à prendre conscience de ce grave problème de l'occultation des cérémonies autour de la mort ? Il serait donc peut-être temps de réfléchir sérieusement sur l'importance de cette pompe qui doit entourer nos morts, pour toucher de douceur les cœurs attristés et élever les âmes vers Dieu. Il s'agit là d'une véritable mission apostolique !