mardi 25 août 2015

La noble horreur de la vulgarité

        Ces paroles du cantique scout Coeur de Jésus, notre Chef, ne s'adressent pas seulement aux disciples de cette belle et édifiante pédagogie qu'est le scoutisme. S'il est un mal répandu à toutes les époques, c'est bien la vulgarité. Avant de parler de l'élégance, Mathias Balticensis aurait mieux fait de s'attaquer à cette maladie qui, loin de se borner au langage et au comportement des individus, finit par devenir un habitus qui affecte profondément la dignité humaine de chacun et les formes de sociabilité. Alors, d'emblée, il ne faut pas croire que la vulgarité n'est qu'une petite imperfection de rien du tout au sujet de laquelle il ne faut pas dramatiser !

        Le mot vulgarité, vient de vulgus, qui désigne le commun des hommes, le peuple (plebs) pour le distinguer des catégories sociales plus élevées, sur le plan économique et culturel. D'une distinction d'ordre social, le mot vulgus a fini par donner le terme vulgarius, "le vulgaire". Les anciens auteurs rattachaient le peuple, par stéréotype ou par dédain, à un comportement grossier, loin de toutes les formes de sociabilité entretenues et codifiées par les catégories aisées. Si le cliché doit être dépassé, le mot "vulgaire" est resté pour caractériser les personnes et les groupes sociaux qui, n'ayant pas reçu ou ayant refusé les fondements d'une digne éducation à la vie en société (loin de toute forme de snobisme, bien sûr !), s'attachent à un comportement mêlant grossièreté, ignorance, paresse et toutes sortes de maux si répandus, par contact, dans des milieux qu'on qualifiera aujourd'hui de "défavorisés". Loin de nous de mépriser ces milieux. La plupart de ces personnes sont victimes, et non coupables, de "l'effet de groupe" et de l'inactivité des politiques éducatives. Premièrement, "l'effet de groupe", qui se résume dans l'adage célèbre : "Dis moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es". Le groupe social dans lequel nous naissons, grandissons et vivons, a un impact sur notre propre comportement : l'éducation se réalise d'abord dans le milieu (famille, voisinage, amis) dans lequel nous vivons au quotidien. Nous ne pouvons pas nier l'existence d'un "effet de groupe" constructif ou destructif selon le type de comportement social qu'il communiquera. La réalité des milieux défavorisés nous montre une influence délétère de cet "effet de groupe", notamment à travers une sorte d'initiation au crime ou à la délinquance, considérée comme une échappatoire au fatalisme des inégalités et des discriminations. Bref, le mal-être social des familles défavorisées n'est pas soigné à la racine : il semble au contraire qu'une sorte de ghettoïsation sociale soit encouragée par les tenants de ce qu'on pourrait appeler l'anti-culture de la violence urbaine (précisons bien, pour la police de la pensée, qu'il n'y a là aucune connotation raciste ou intolérante !).

         Deuxièmement, l'inaptitude des politiques sociales est en grande partie responsable de l'échec d'un relèvement des milieux défavorisés. A force de vouloir faire de l'égalitarisme le principe premier d'un utopique projet d'amélioration sociale, ces messieurs des cabinets dorés parisiens - qui vivent à des années lumières des réalités sociales qu'ils prétendent connaître sur le bout des doigts - ont entraîné un appauvrissement incontestable de la société dans son ensemble, qu'on résume dans l'expression de nivellement par le bas. D'une part, les échecs scolaires des jeunes issus de milieux défavorisés n'ont pas été résorbés. D'autre part, et pire que cela, les politiques scolaires égalitaristes ont entraîné une faillite institutionnelle (la réforme hollandaise lui donnera semble-t-il le coup de grâce) et une contamination de l'échec chez les jeunes issus des autres milieux sociaux. A ce tableau, il faut ajouter bien sûr les mirages de l'avenir professionnel, puisque la courbe du chômage semble, malgré les prédictions réitérées de nos mathématiciens des ministères, vouloir finalement ne jamais s'inverser... Sans commentaire.

Une classe de l'école centrale de Mulhouse en 1939. Autres temps, autres mœurs !

         Si ce double mouvement ne permet pas aux honnêtes gens des milieux défavorisés de sortir de la spirale du vulgarius, il faut aussi remarquer, depuis plusieurs décennies, une contamination de la vulgarité au sein des autres catégories sociales. Il semble que ce soit à la mode de parler comme un charretier, que ce soit viril pour un jeune garçon de sortir un gros mot de temps à autre, que ce soit une preuve d'affirmation de soi de revêtir des vêtements déchirés ou délavés, de cracher par terre, de déambuler comme un pantin désarticulé, d'interpeller à tout bout de champ, de répondre à voix (très) haute au téléphone où que l'on soit, et j'en passe. Il suffit de se promener dans une ville, de fréquenter les transports en commun ou de déjeuner dans un restaurant pour s'en rendre compte. La vulgarité est devenue un phénomène social de masse, une affirmation pure et simple de l'individualisme qui règne partout, une distinction (et quelle distinction !) du moi parmi tant d'autres ! Et comme l'exemple vient toujours d'en haut, on idolâtrera une chanteuse qui se tortille dans tous les sens revêtue comme une fille publique ; on portera au pinacle un acteur qui ne sait pas aligner trois mots (tant bien que mal d'ailleurs...) sans sortir une insulte, à tel point qu'il se réduit à un dictionnaire de coprolalie sur deux jambes ; on louera les mérites et l'humilité d'un homme politique qui se présentera débraillé et mal rasé à un rendez-vous officiel. Si ceux qui sont sensés donner l'exemple ne le font pas, comment s'étonner que la masse populaire ne se corrige pas ?
       
      Comme beaucoup de gens, et plus qu'on ne le pense, j'en ai ras-le-bol de ce phénomène social qui est en train de ronger les vestiges d'un peuple qui a jadis fait œuvre de civilisation, en particulier par sa langue et son savoir-vivre ! J'en ai ras-le-bol des caricatures outrancières - toujours les mêmes d'ailleurs, ce qui dénote un certain manque d'imagination - de certains torchons qui osent s'appeler journaux ; j'en ai ras-le-bol de ces harpies dépoitraillées, appelées Femen, qui représentent le summum de la vulgarité et certainement pas le prototype de la féminité. "La vulgarité est un crime" écrivait Oscar Wilde. Oui, elle est un crime contre la civilisation, contre la société et - allez, lâchons-le ! - contre l'humanité. Grave accusation qui impose aujourd'hui une sévère remise en question. Les familles, l'école et les élites doivent en être les artisans. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui comme hier, ces trois réalités font œuvre de civilisation. Civiliser, ce n'est pas supprimer les particularismes historiques et culturels. Civiliser, ce n'est pas imposer une prétendue "lutte des classes" au profit des catégories aisées. Civiliser, ce n'est pas faire taire les plus pauvres. Civiliser, ce n'est pas niveler et détruire les "inégalités" irréductibles de toute réalité humaine (la différence des sexes, des aptitudes intellectuelles et physiques, des héritages et des acquisitions économiques, etc.). Au contraire, civiliser, c'est construire la société, élever les humbles et pacifier les relations sociales. Mais civiliser ne rime pas avec vulgarité. Civiliser exige de lutter contre ce fléau culturel, contre cette crise spirituelle (au sens large du terme) qu'on oublie souvent et qui, pourtant, si elle n'est pas résolue dès que possible, fera empirer les autres crises que nous traversons (économique, sociale, etc.). Civiliser, c'est ne pas permettre qu'un plus petit se retrouve prisonnier de la spirale de la vulgarité. Civiliser, c'est instruire par le beau, le vrai et le bien. Civiliser, c'est rendre aux hommes la dignité humaine, non pas en leur faisant croire qu'ils sont meilleurs que les autres, non pas en leur faisant miroiter des droits à toutes les sauces, mais en leur permettant de construire la société de demain par les talents qu'ils ont reçus. 

       Et ça, ce n'est pas une utopie. Encore une fois, si on veut, on peut. Les politiques actuelles ne veulent pas transfigurer la société car elles refusent de voir la réalité en face, car elles refusent un inévitable braquage à 180° en reprenant le progrès objectif de l'humanité là où il a été dévoyé. Une authentique critique s'impose, donc beaucoup d'humilité et le sacrifice des plaintes perpétuelles d'un moi prisonnier de son petit monde à lui. Cette critique suppose de regarder objectivement l'histoire, sans idéalisation ni diabolisation du passé, du présent et de l'avenir. Notre société de 2015 ne peut plus continuer dans la voie boueuse où elle s'est enfoncée, spécialement depuis le chaos soixante-huitardesque. La résistance s'impose. Elle doit commencer dans la famille, où l'on doit enseigner plus que jamais aux jeunes générations la "noble horreur de la vulgarité".